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On se bat déjà pour l’eau. On le fera malheureusement de plus en plus.
Franck Galland est considéré comme l’un des meilleurs experts français sur les questions sécuritaires liées aux ressources en eau. Auteur de quatre ouvrages remarqués (Guerre et eau1, Le Grand Jeu : chroniques géopolitiques de l’eau2, Eau & conflictualités3, L’eau : géopolitique, enjeux, stratégies4), il a également écrit pour différentes revues de relations internationales et de défense une cinquantaine d’articles et analyses sur les enjeux stratégiques liés aux ressources en eau.
Votre dernier ouvrage s’appelle Guerre et eau. Faire la guerre pour l’eau, est-ce nouveau ?
F.G. : Non, mais le sujet se développe malheureusement. Durant les deux conflits mondiaux, on a fait la guerre avec l’eau (les inondations défensives) et contre l’eau (des destructions ciblées d’ouvrages hydrauliques). L’actualité récente, avec le barrage de Kakhovka sur le Dniepr5, le démontre encore avec des conséquences massives sur les populations et un véritable écocide. En Syrie et en Irak, l’État islamique s’en est également pris à des infrastructures essentielles à la vie. En fait, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, on se bat régulièrement avec l’eau comme arme. Mais depuis 20 ans, le fait nouveau porte sur les conflits à cause de l’eau. Des conflits transfrontaliers et régionaux surviennent mais également des conflits d’usage, entre une eau à vocation agricole, domestique, industrielle… Dans certaines parties du monde, on se bat déjà pour l’eau. On le fera malheureusement de plus en plus demain en raison de la raréfaction de la ressource et du changement climatique.
Y a-t-il d’autres raisons à ces conflits ?
F.G. : Oui, la croissance des populations. Avec près de 110 millions de personnes, l’Égypte doit par exemple gérer une véritable bombe démographique dans un contexte de réduction de sa ressource en eau renouvelable disponible. Ceci intervient sur fond d’ambitions hydrauliques de l’Éthiopie, son grand voisin de l’amont, qui construit le barrage “Renaissance”. Cette retenue d’eau de 74 milliards de m3 sera la plus grande d’Afrique, et est de fait perçue comme menaçant la sécurité et la souveraineté de l’Égypte, située plus en aval. Les Éthiopiens ont commencé cet été la quatrième phase de remplissage de l’ouvrage, sans qu’aucune solution hydro-diplomatique n’ait été trouvée, même si des signaux positifs ont été récemment émis en marge de discussions régionales sur la crise qui sévit au Soudan. Mais la question restera : comment l’Égypte va-t-elle pouvoir gérer la croissance de sa population et sa sécurité alimentaire dans le contexte d’insécurité hydrique né du barrage “Renaissance” et des conséquences du changement climatique ? Ceci explique pourquoi le Conseil de Sécurité des Nations Unies est régulièrement saisi par l’Égypte sur la question pour tenter d’aboutir à une gestion régionale partagée des ouvrages sur le Nil.
La pression sur la ressource, le changement climatique et l’explosion démographique sont les raisons principales des conflits liés à l’eau.Frank Galland , Experts français sur les questions sécuritaires liées aux ressources en eau
Dans vos différents ouvrages, vous évoquez régulièrement la “diagonale de la soif”. De nouveaux territoires sont-ils ou vont-ils être touchés ?
F.G. : Depuis le Maroc, cette diagonale s’étend vers le sud et notamment au Sahel. Dans les pays du G5 Sahel7, 150 millions de personnes ont vu leur ressource en eau diminuer de 40 % depuis l’an 2000. Facteur aggravant, cette population est amenée à doubler d’ici 2030. La diagonale s’intensifie également. Prenons l’exemple de l’Inde, pays le plus peuplé de la planète devant la Chine avec 1,4 milliard de personnes. Sa gestion de l’eau n’a pas suffisamment été réformée. 60 % de son agriculture et 85 % de son eau à vocation domestique dépendent de pompages d’eau souterraine. Or, aujourd’hui, les niveaux de nappes deviennent dramatiquement bas dans certaines provinces indiennes. Avec le changement climatique et une pluviométrie devenue erratique, le phénomène s’aggrave. L’Inde rencontre ainsi de plus en plus de difficultés pour son accès à l’eau brute.
Cette diagonale est donc loin d’être figée ?
F.G. : Absolument. À l’inverse de l’Inde, la Chine, par la technologie et une offre en eau alternative, tente de répondre aux enjeux qui sont ceux de la raréfaction. Il est vrai que la croissance de ce pays s’est faite par l’eau et que tous les leaders de la Chine moderne depuis Mao ont eu un rapport de puissance vis-à-vis de l’eau. Après des programmes de diversion du Yangtsé, le Fleuve bleu, la Chine se tourne maintenant vers le dessalement. D’ici 10 ans, elle devrait s’installer dans le top 5 des pays les plus utilisateurs de cette technologie. Aujourd’hui, le champion du monde reste l’Arabie saoudite en termes de capacités installées. En Europe, c’est l’Espagne avec le 5e rang mondial. La Chine va également de plus en plus s’orienter, comme Singapour ou Israël, vers de la réutilisation des eaux usées pour augmenter encore son offre en eau. Aussi, si la Chine demeure dans cette diagonale de la soif, elle essaye stratégiquement d’en atténuer les effets.
La diagonale de la soif s’étend voire s’intensifie, notamment en Inde. La Chine multiplie les efforts pour en atténuer les effets.Frank Galland , Experts français sur les questions sécuritaires liées aux ressources en eau
La Chine est-elle une exception ou d’autres pays ont-ils également réagi ?
F.G. : L’autre bel exemple est le Maroc. Quand le roi du Maroc Hassan II accède au trône en 1961, l’eau apparaît immédiatement comme sa priorité stratégique. 30 ans plus tard, 100 barrages auront été construits grâce à une administration et des ingénieurs particulièrement performants. Des partenariats public-privé auront également été signés avec pertinence. Ce pays a ainsi énormément investi, convaincu que l’eau était un enjeu sécuritaire et politique. S.M. Mohamed VI s’inscrit dans la continuité de son père mais en y apportant une touche personnelle en termes de résilience et de modernité. Aujourd’hui, avec le changement climatique, les pluies se font rares au Maroc, et les retenues hydrauliques ne sont plus pleines qu’à 20-30 %. Aussi, le Maroc se lance-t-il dans le dessalement et la réutilisation des eaux usées. D’un bout à l’autre de la diagonale, les exemples de la Chine et du Maroc montrent donc qu’il n’y a pas de fatalité et que rien n’est perdu.
En 2016, les investissements mondiaux dans la recherche des économies sur l’acheminement et le traitement de l’eau ne représentaient que 2,6 % des 455 milliards de dollars consacrés à la lutte contre le changement climatique. Pourquoi ce désintérêt ? Y a-t-il eu des évolutions depuis 2016 ?
F.G. : Depuis 2016, les évolutions ont été insuffisantes. Aujourd’hui avec les défis qui sont les nôtres, il faudrait multiplier par 10, voire 100 les sommes mobilisées ! Aller vers le dessalement ou la réutilisation des eaux usées impose un investissement massif destiné à augmenter l’offre en eau. Ce qui coûte cher, c’est de travailler à la fois sur la demande, avec la réhabilitation de conduites par exemple où on est en France à 315 € le mètre linéaire pour une canalisation enterrée, et d’augmenter l’offre disponible sur des territoires qui en ont besoin. Ces investissements devront assurément passer par une augmentation du prix de l’eau, qui se situe en France dans la moyenne européenne.
Dans notre pays, le débat sur l’eau se focalise trop souvent sur le seul tarif de l’eau, alors qu’un délégataire ou un opérateur public doit pouvoir faire son travail dans des conditions lui permettant de bien gérer l’infrastructure existante et de préserver efficacement la ressource. Trop de territoires arrivent à des situations de ruptures par manque de vision et d’engagement. Faute de schémas directeurs et d’investissement, on ne donne pas toujours de moyens suffisants aux exploitants : manque d’interconnexions, peu d’infrastructures nouvelles, programmes a minima de réduction de fuites... Il s’agit alors de fautes politiques majeures.
Dans notre pays, le débat sur l’eau se focalise trop souvent sur le seul tarif de l’eau, alors qu’un délégataire ou un opérateur public doit pouvoir faire son travail dans des conditions lui permettant de bien gérer l’infrastructure existante et de préserver efficacement la ressource. Trop de territoires arrivent à des situations de ruptures par manque de vision et d’engagement. Faute de schémas directeurs et d’investissement, on ne donne pas toujours de moyens suffisants aux exploitants : manque d’interconnexions, peu d’infrastructures nouvelles, programmes a minima de réduction de fuites... Il s’agit alors de fautes politiques majeures.
L’eau qui paye l’eau est sans doute un modèle à réformer, car des investissements massifs sont à prévoir.Frank Galland , Experts français sur les questions sécuritaires liées aux ressources en eau
Disons-le avec franchise et réalisme, prendre le moins-disant financièrement et techniquement comme opérateur n’est plus possible dans le contexte de raréfaction que nous connaissons. Par ailleurs, l’eau qui paye l’eau9 est sans doute un modèle à réformer car nous sommes face à des besoins d’investissement massifs destinés à préserver la ressource mais aussi à lutter contre des phénomènes climatiques extrêmes. On parle beaucoup de sécheresse, de canicule en France.
Mais n’oublions pas que le changement climatique induit aussi des phénomènes pluviométriques d’exception comme la tempête Alex l’a montré en octobre 2020. Des infrastructures robustes sont désormais nécessaires pour mieux gérer les inondations pluviales et leurs lourdes conséquences sur les villes. Notre modèle de résilience urbaine doit être repensé sérieusement sans rien s’interdire en termes de solutions techniques et technologiques. Mais le “drame” de la profession, c’est que l’eau ne se voit pas sauf quand le manque d’eau ou le trop d’eau s’exprime. Or, derrière la gestion de l’eau, il y a toute une ingénierie et un savoir-faire humain, dont nous pouvons être fiers, mais qui doit être mieux et plus souvent mis en lumière.
Mais n’oublions pas que le changement climatique induit aussi des phénomènes pluviométriques d’exception comme la tempête Alex l’a montré en octobre 2020. Des infrastructures robustes sont désormais nécessaires pour mieux gérer les inondations pluviales et leurs lourdes conséquences sur les villes. Notre modèle de résilience urbaine doit être repensé sérieusement sans rien s’interdire en termes de solutions techniques et technologiques. Mais le “drame” de la profession, c’est que l’eau ne se voit pas sauf quand le manque d’eau ou le trop d’eau s’exprime. Or, derrière la gestion de l’eau, il y a toute une ingénierie et un savoir-faire humain, dont nous pouvons être fiers, mais qui doit être mieux et plus souvent mis en lumière.
De la pédagogie est donc nécessaire pour dire que l’eau ne va pas de soi ? Que derrière cette ressource se cachent des métiers essentiels et de plus en plus complexes ?
F.G. : La profession doit montrer sa véritable richesse et son rôle essentiel et vital pour les populations. Il existe de surcroît un vrai enjeu de recrutement, avec de nombreux départs en retraite prévus d’ici 2030. Nous devons ainsi mieux valoriser la noblesse des métiers de l’eau, leur intérêt technique et intellectuel, ainsi que leur fonction critique. Les sujets de la formation et de l’attractivité restent également plus que jamais incontournables. Même en réformant et en investissant massivement sur l’eau, sans les hommes et les femmes pour exploiter, l’équation sera impossible à résoudre.
Même en réformant et en investissant massivement sur l’eau, sans les hommes et les femmes pour exploiter, l’équation sera impossible à résoudre.Frank Galland , Experts français sur les questions sécuritaires liées aux ressources en eau
Vous évoquiez la réutilisation des eaux usées. En France, nous sommes à moins de 1 %. Pourquoi ce retard ? Quels sont les pays les plus vertueux dans ce domaine ?
F.G. : Les pays les plus vertueux sont ceux qui ont été confrontés très tôt à la raréfaction de la ressource et qui ont su s’y adapter. Israël est à ce titre numéro un. 90 % des eaux usées sont réutilisées et réinjectées en circuits fermés à des fins d’arrosage agricole, de consommation humaine, d’utilisations industrielles… Singapour arrive juste après. En 1960, au moment de son indépendance, ce pays dépendait à 100 % de la Malaisie pour son alimentation en eau. Singapour a alors développé une offre en eau alternative, principalement à base de réutilisation des eaux usées. En 2060, lors des 100 ans de son accession à l’indépendance, Singapour devrait être autosuffisant. La Cité-État dépendra à 50 % de la réutilisation des eaux usées, à 25 % du dessalement et à 25 % de ressources en eau en propre (stockage d’eau de pluie, eau souterraine, eau de surface). En Europe, 15 % des eaux usées espagnoles sont réutilisées. L’Italie est à 8 %. Qu’est-ce qui explique le retard français ? Des raisons politiques, réglementaires et techniques. Nos réseaux n’ont pas été conçus pour cela. En France, on traite les eaux usées puis on les rend propres à la nature. Nous avons aussi des exigences sanitaires très élevées avec une administration qui s’est montrée très (trop) prudente sur le sujet. Si nous avions réagi plus tôt avec des infrastructures adéquates, comme des modules de ReUse ajoutés aux stations d’épuration, nous serions bien au-delà de l’actuel taux de 1 % d’eaux usées réutilisées.
Quels sont les dangers encourus si les États ne se saisissent pas de cette question d’accès à l’eau ? Êtes-vous plutôt optimiste par rapport à cette prise de conscience ?
F.G. : De manière générale, on se préoccupe plus de la 5G que des infrastructures hydrauliques visibles et enterrées. Eh bien, je le regrette. À de rares exceptions, nous manquons de vision politique pour nos infrastructures, leur maintien en condition opérationnelle et leur développement. Mon constat est lucide, parfois amer, si nous comparons avec ce qui s’est passé durant les Trente Glorieuses. Mais la volonté étant dans le chemin, des voix doivent s’exprimer en nombre pour imposer l’eau au rang des priorités stratégiques. Le politique doit en être convaincu et s’emparer du sujet. Regardons ce que font d’autres pays européens, comme l’Espagne, la Hollande ou la Belgique. Les investissements ont en effet été massifs en Flandre et en Wallonie depuis 20 ans, créant de véritables autoroutes régionales de l’eau grâce notamment au financement de la Banque européenne d’investissement. Il suffit donc d’une volonté politique et de capacités financières. Avec les moyens qui leur seront alors alloués, des groupes comme SUEZ ont la faculté de mettre en application les décisions publiques qui seront prises. Mais, optimisme ne veut pas dire déraison. La gestion des ressources humaines reste la clé sine qua non de notre avenir. Si demain, alors que tout invite à l’action, nous n’avons plus les compétences pour faire, nous resterons dans l’impasse. Il est ainsi urgent d’offrir une perspective RH aux ingénieurs, aux électro-mécaniciens et automaticiens, dont nous avons aujourd’hui un besoin criant et encore plus demain.
1) Robert Laffont, mars 2021.
2) CNRS Éditions, mars 2014.
3) Éditions Choiseul, janvier 2012.
4) CNRS Éditions, septembre 2008.
5) La destruction du barrage hydroélectrique de Kakhovka a lieu dans la nuit du 6 juin 2023, dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
6) Cette vaste étendue comprend l’Afrique du Nord, le Proche et le Moyen-Orient, la péninsule indienne, une partie de l’Asie centrale et la moitié septentrionale de la Chine.
7) Les pays du G5 Sahel sont les pays unis par une alliance stratégique et militaire destinée à combattre le terrorisme islamique. Parmi eux figurent la Mauritanie, le Niger et le Tchad.
8) United Nations World Water Development Report 2020.
9) Les usagers supportent, par leurs factures d’eau, l’essentiel des dépenses liées à la gestion de l’eau qu’ils consomment. Le budget des communes, pour les services de l’eau et de l’assainissement, doit être autonome, les recettes équilibrant les dépenses.
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1) Robert Laffont, mars 2021.
2) CNRS Éditions, mars 2014.
3) Éditions Choiseul, janvier 2012.
4) CNRS Éditions, septembre 2008.
5) La destruction du barrage hydroélectrique de Kakhovka a lieu dans la nuit du 6 juin 2023, dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
6) Cette vaste étendue comprend l’Afrique du Nord, le Proche et le Moyen-Orient, la péninsule indienne, une partie de l’Asie centrale et la moitié septentrionale de la Chine.
7) Les pays du G5 Sahel sont les pays unis par une alliance stratégique et militaire destinée à combattre le terrorisme islamique. Parmi eux figurent la Mauritanie, le Niger et le Tchad.
8) United Nations World Water Development Report 2020.
9) Les usagers supportent, par leurs factures d’eau, l’essentiel des dépenses liées à la gestion de l’eau qu’ils consomment. Le budget des communes, pour les services de l’eau et de l’assainissement, doit être autonome, les recettes équilibrant les dépenses.
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