« En matière de qualité de l’air, ce n’est pas seulement l’application de nouveaux procédés qui compte, mais aussi la confiance qu’a le public dans les données qui lui sont communiquées »
Quel est le lien selon vous entre l’urbanisme et la qualité de l’air ? Comment mieux prendre en compte ce sujet dans l’aménagement de l’espace urbain, avec quels outils et bonnes pratiques ?
Bernard Weisbecker : Il y a quelques années, on se demandait en quoi l’urbanisme avait affaire avec la santé. Il y a eu un certain nombre de transformations mondiales, des risques d’inondations et des risques liés à la qualité de l’air, qui nécessitent aujourd’hui que l’urbanisme s’intéresse aux sujets liés à la santé. Dans notre région et ailleurs en France, des plans de gestions des risques liés aux inondations, au bruit, etc., sont élaborés. Ils donnent lieu à des cartes géographiques qui font apparaître des zones dites « pâles » et des zones « vives ».Les zones pâles sont réservées pour de nouveaux quartiers et constructions. Les nouveaux projets urbains doivent être pensés en fonction d’un certain nombre de critères comme l’orientation des bâtiments par rapport au soleil qui, quand elle est efficiente, permet au bâtiment d’utiliser moins de chauffage, voire d’être à énergie positive. On construit aussi de plus en plus de bâtiments à toits plats sur lesquels sont placés des végétaux qui absorbent le CO2. Tout cela baisse aussi le coût du chauffage et a pour effet de limiter la pollution de l’air.
L’ATMO Hauts-de-France (Observatoire Régional de l'Air) et la Communauté Urbaine de Dunkerque ont réalisé une carte stratégique de l’air en 3D qui permet d’avoir une idée de ce qu’il peut advenir d’un quartier, ou d’une rue, en termes de qualité de l’air en fonction de différents intrants : le soleil, le vent, des arbres, une pelouse…
La rénovation de l’espace urbain doit, elle aussi, s’appuyer sur de nouveaux principes : économie d’énergie, utilisation d’énergies renouvelables, verdissement des toitures… Le renouvellement urbain coûte très cher et il ne faut pas le rater. Les orientations des bâtiments doivent être soignées et nous devons laisser de la place à la nature en ville pour des questions de santé mais aussi pour permettre plus d’activités récréatives. La présence de verdure permet par ailleurs de mieux réguler les températures en cas de canicule.
En quoi la qualité de l’air est-elle un sujet important pour le territoire du dunkerquois ?
Bernard Weisbecker : Dunkerque est marquée par son port et par les industries situées à l’ouest de la ville. Nous sommes sur un territoire industriel, le premier territoire énergétique européen avec une centrale nucléaire, un terminal méthanier, de la production d’aluminium et de la pétrochimie… C’est aussi le plus gros producteur de CO2 d’Europe.A l’Agence d’Urbanisme, nous travaillons sur la santé. Pour l’Organisation Mondiale de la Santé, le corps compte pour environ 15 % de la santé des personnes et pour 85 % restants, c’est leur environnement. La ville et la Communauté Urbaine ont candidaté à l’appel à projet lancé par l’Etat appelé « Territoire d’innovation » et sont arrivés 3e. Dans ce projet [Dunkerque L'Energie créative], il y a un volet qui concerne l’amélioration de la qualité de l’air. Des investissements sont prévus pour limiter la production de CO2 par les industriels.
Nous élaborons également à l’Agence d’Urbanisme des « Toiles ». Ce sont des cartes qui permettent de visualiser toutes les interactions et les influences de chaque acteur sur un territoire. Cela montre par exemple qu’environ 40 % des décideurs sur le territoire du dunkerquois sont à l’étranger, via les trusts. Nous ne sommes pas souverains de nos décisions. Une Toile est en préparation sur le thème de la santé.
Quelle perception ont les habitants de la qualité de l’air ?
Bernard Weisbecker : Nous avons les prévisions de l’ATMO sur la qualité de l’air qui passent le soir à la télévision. Elles sont suivies car les habitants ont confiance dans ces données. Souvent, la région est en orange ou en rouge, ce qui est peut-être inquiétant.En matière de qualité de l’air, ce n’est pas seulement l’application de nouveaux procédés qui compte, mais aussi la confiance qu’a le public dans les données qui lui sont communiquées. Il faut être très transparent vis-à-vis du public. Nous sommes d’ailleurs en train de chercher de nouvelles méthodes pour communiquer au plus près des gens. Je pilote depuis peu un groupe sur ce sujet qui s’appelle « Dialogue territorial innovant ».
100 % des transports en bus sont gratuits dans la ville depuis 2018, quel a été l’impact sur la qualité de l’air ?
Bernard Weisbecker : La gratuité des bus a considérablement allégé les trajets en voiture [50 % de nouveaux usagers en 1 an dont 48 % qui ont abandonné la voiture, ndlr] mais c’est un peu trop tôt pour dire quel est l’impact réel sur la qualité de l’air. Une étude sur la mobilité de 2015 montrait qu’il y avait auparavant 1 personne par voiture en moyenne sur des trajets de 2 à 2,5 km et que les déplacements dans le territoire Flandres Dunkerque représentaient en une journée l’équivalent d’une piscine en termes de carburant et 171 fois le tour de la Terre en termes de kilomètres.Pour aller plus loin dans l’amélioration de la qualité de l’air, les bus vont aussi devoir se transformer en passant à l’électrique ou à l’hydrogène. Et il reste également à aménager des voies pour les vélos.
Sandrine Babonneau, vous êtes référente urbanisme et santé à l’AGUR, mais aussi coordinatrice de l’Observatoire Local de Santé qui a un rôle important dans le cadre du projet « Dunkerque, l’énergie créative ». Comment l’Observatoire va-t-il travailler sur le sujet de la qualité de l’air ?
Sandrine Babonneau : Nous avons besoin de bien comprendre les liens entre la qualité de l’air et la santé, et plus particulièrement le lien avec certaines pathologies. Depuis le 1er juillet 2020, l’Observatoire est doté d’une vraie équipe qui comprend notamment un biostatisticien et un médecin en cours de recrutement. Nous souhaitons notamment développer d’autres indicateurs de la qualité de l’air, complémentaires aux indicateurs classiques, comme la bio-indication par les abeilles. Des travaux sont envisagés sur les lichens qui pourraient également être des « bio-indicateurs » car ils concentrent un certain nombre de métaux lourds. Une autre étude est également prévue en laboratoire sur l’impact des microparticules collectées dans l’air (PM 2,5) sur les cellules humaines. Le travail de l’Observatoire est de coordonner ces différentes études et de voir par la suite comment les résultats pourront être utilisés.Une étude sociologique sur la qualité de l’air a été réalisée sur la perception qu’en ont les habitants de la Communauté urbaine de Dunkerque. Quels enseignements peut-on en tirer ?
Sandrine Babonneau : Cette étude a montré qu’il y a une défiance de la part de la population sur la qualité de l’air. Les habitants connaissent les indicateurs d’ATMO Hauts-de-France, c’est une structure qui est reconnue. Pour autant, les interviews montrent qu’ils souhaitent savoir ce que veulent dire ces indicateurs et quel est leur impact sur leur santé.
L’étude fait ressortir la question de la fiabilité des données - le public souhaite être sûr que l’information est réelle et non manipulée - et de l’accessibilité de l’information. Certains habitants ne savaient pas où trouver les informations sur la qualité de l’air. Une autre étude de l’ADEME qui porte sur la communication auprès du public montre que les grands canaux traditionnels de communication ne fonctionnent pas toujours très bien. Ce qui fonctionne le mieux, c’est d’avoir plein de canaux différents et surtout d’être dans l’accompagnement et l’implication du citoyen : en travaillant avec les maisons de quartier, en expliquant à quoi correspondent les indices de qualité de l’air…
A Marseille, ils ont un système appelé « Pétunia ». Certains habitants ont des Pétunia chez eux et l’état de santé de la fleur est un indicateur de qualité de l’air. L’idée, c’est d’imaginer pour demain de nouveaux systèmes de communication qui impliquent les citoyens afin de fiabiliser la donnée et que les habitants, en participant aux projets, puissent avoir confiance dans l’information qui leur est donnée. Parfois la qualité de l’air à Dunkerque peut être bonne même quand il y a des poussières visibles. Cela nécessite une explication auprès de la population. Ce qui fonctionne bien aussi sur d’autres territoires, c’est que les habitants soient formés surces sujets pour devenir des « référents » de la qualité de l’air.